
ChatGPT, ou l’art de la toutologie : Quand l’éloquence masque le vide
Par SylvAIn Montmory – Créé le 18 janvier 2025 – Temps de lecture par une IH : 8 min
"L’avenir n’appartient pas aux IA, mais à ceux qui les manient avec plus d’intelligence qu’elles n’en simulent."
Les chaînes d’information en continu exhibent des “experts” aux CV caméléon et au brushing impeccable. Hier, ces orateurs décortiquaient la sécurité des voitures autonomes ; aujourd’hui, ils débattent de l’éducation du futur ; la semaine prochaine, ils commenteront le championnat mondial de baby-foot. Les téléspectateurs admirent cette apparente maîtrise, jusqu’au moment où l’on réalise que tout cela manque singulièrement de profondeur. Derrière l’éloquence, on trouve souvent des raisonnements légers et une recherche approximative. Cet art de disserter partout et tout le temps porte un nom : la “toutologie”, ou l’art de « tout commenter sans rien creuser ».
Désormais, ces virtuoses de la parole accueillent un allié inattendu : les IA génératives, dont ChatGPT est la figure de proue. Que se passe-t-il lorsque ce modèle conversationnel se retrouve face à un journaliste avide de lumière ? Il peut disserter sur la mode canine, bifurquer sur la physique quantique, puis glisser quelques conseils sur des recettes véganes. L’effet “waouh” est garanti à l’écran. Pourtant, ChatGPT ne possède aucune “conscience” qui lui soufflerait : « Attention, tu frises le ridicule ». Il répond, un point c’est tout : c’est ce pour quoi il a été programmé. D’où vient cette aisance ? En quoi ce fameux “tout” fait-il écho à “tau” ? Installez-vous : on décortique ce phénomène, entre ironie de la forme et profondeur toute relative.
Bienvenue dans l’univers de la “toutologie” (avec ou sans ChatGPT)
La “toutologie” va bien au-delà d’un simple « je sais tout ». Elle consiste surtout à parler de tout, sans jamais creuser. Les phrases enchantent l’auditoire, l’aisance captive, mais le propos demeure superficiel. Plusieurs orateurs médiatiques maîtrisent à merveille ce style. On les voit commenter l’économie argentine au petit déjeuner, puis s’enthousiasmer pour un nouveau microprocesseur révolutionnaire à l’heure du déjeuner, avant de donner leur avis sur la transition énergétique du soir. Sur la forme, le public s’émerveille.
ChatGPT affiche la même souplesse. Lancez-lui un sujet très général, comme « Comment décrocher la lune ? » : l’IA rédige des paragraphes qui semblent inspirés, laissant croire que la conquête spatiale n’a plus de secret pour personne. Sauf qu’en examinant chaque point, on remarque une patine superficielle : enfilade de mots-clés, tournures polies, clichés poétiques. ChatGPT peut se tromper, mais avec une élégance qui donne le change, car il se base sur des probabilités statistiques. Après “décrocher la lune”, il détecte qu’il vaut mieux parler de planification, d’objectifs ou d’imagerie poétique. Au final, on obtient un texte qui ressemble à une analyse, mais qui tient plus de l’assemblage de formules standards.
“Tout” et “tau” : la boucle et la globalité
Le mot “toutologie” apparaît parfois comme un cousin facétieux de “tautologie”. Cette dernière décrit une proposition toujours vraie et donc vide d’intérêt informatif (le fameux « Un chat est un chat »). Elle tourne en boucle, sans jamais affronter de contradiction. La “toutologie”, quant à elle, aspire à embrasser tous les sujets, même si elle renonce à toute rigueur factuelle.
Le “tau” de “tautologie” (la lettre grecque τ) renvoie à une constante mathématique (environ 6,28318) — soit 2π. Certains y voient l’image d’une boucle complète. Dans la “toutologie”, on retrouve cette ambition circulaire, ce désir d’accaparer tous les domaines, quitte à surfer à la surface. L’orateur entend “tout” dire et finit parfois par ne plus rien dire du tout.
L’astuce de la tautologie pour meubler avec ChatGPT
Sur les plateaux télé, dès qu’une question dépasse la compétence réelle de l’expert ou l’expose à l’embarras, on voit fleurir des platitudes : « La sécurité routière, c’est avant tout un problème de sécurité. » Indéniable, mais inutile. Personne n’apprend quoi que ce soit.
ChatGPT adopte la même parade face à une requête floue. Exemple : « Pourquoi la pluie mouille ? ». L’IA aligne des évidences : « La pluie se compose de gouttelettes d’eau qui humectent les surfaces. » Vrai… et sans grand intérêt. Ce recours à la tautologie devient une bouée de secours pour éviter l’erreur. Mieux vaut rappeler l’évidence que de risquer une fausse réponse plus détaillée.
En somme, ChatGPT reproduit les tics rhétoriques qu’il a absorbés en lisant des millions de textes. On parle souvent des biais cognitifs qu’une IA peut reproduire ; cette “toutologie” marque aussi sa faculté à recopier nos fâcheuses tendances à remplir l’espace de paroles creuses — à la fois sur les plateaux télé et, désormais, sur internet ou les réseaux sociaux.

🤹♂️ LinkedIn : réseau social des « toutologues » et des bots ChatGPT 🤖
Sur LinkedIn, des bataillons d’« experts autoproclamés à la réussite fulgurante » se targuent de maîtriser la géopolitique, l’innovation technologique, le coaching ou la psychologie, parfois dans un seul et même post. L’arrivée de ChatGPT a décuplé ce phénomène : des publications apparaissent, rédigées par l’IA (étude : 54 % des posts Linkedin générés par l’IA), qui enchaînent des citations inspirantes, des conseils “révolutionnaires” et des tendances d’entreprise, le tout enrobé d’un ton faussement convaincu et souvent “scrappé” sur d’autres contenus. L’algorithme, friand de toujours plus de contenus, pousse cette « toutologie » à l’extrême. S’ajoutent à cela les « pods », ces cercles de likes et de commentaires automatiques, qui doperont la visibilité sans vérifier le fond. Des ex-spécialistes d’Excel se redécouvrent soudain « experts IA », des marketeurs improvisés prônent le prompt ultime pour votre stratégie… Difficile alors de démêler l’authentique du marketing à tout-va. Sur LinkedIn, comme ailleurs, la seule parade reste la vigilance et l’esprit critique.
Pourquoi autant de fascination pour la toutologie ?
Malgré l’absence de profondeur, la “toutologie” exerce un puissant pouvoir d’attraction. Les chaînes d’info accueillent chaque jour des “spécialistes généralistes” qui enchaînent des analyses sur tout et n’importe quoi, tandis que ChatGPT répond sans broncher à des millions de questions. Plusieurs facteurs expliquent cet engouement :
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Le confort intellectuel (ou la simple paresse)
Se contenter d’un discours généraliste rassure et évite l’effort d’une plongée en profondeur. On obtient l’impression d’avoir “appris” quelque chose, même si le savoir reste superficiel. Cette attitude rappelle ces séries Netflix que l’on dévore un vendredi soir, pour tout oublier un mois plus tard : un plaisir immédiat, mais sans grand impact sur la durée.
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Le divertissement
La performance oratoire amuse. Un “expert” (humain ou IA) capable de sauter d’un thème à l’autre sans fatigue ni irritation suscite la curiosité. Cette diversité ébouriffante intrigue autant qu’elle divertit.
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L’effet d’objectivité
ChatGPT semble neutre, dépourvue d’émotions ou de préférences. On oublie souvent qu’elle reproduit les biais des contenus qui l’ont formée. Les experts de plateau, eux, affichent un calme technique ou un vocabulaire très académique qui masque parfois un vide sidéral. Leur pensée tourne en boucle sur elle-même, sans reconnaître sa propre ignorance.
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Le culte de l’éloquence
Un discours élégant se confond facilement avec de la profondeur. Celui qui s’exprime avec aisance, manie un vocabulaire recherché et paraît assuré donne l’illusion d’une grande érudition. ChatGPT, formé sur un océan de textes, maîtrise à la perfection la fameuse “langue de bois” chère à certains orateurs. Les phrases s’enchaînent sans accroc, flattant l’oreille et berçant l’auditoire dans un sentiment de confiance.
Un miroir de nos propres travers
La “toutologie” de ChatGPT reflète nos propres penchants. Combien de personnes n’ont jamais lancé une opinion ferme sur un sujet qu’elles maîtrisaient mal, après quelques lectures rapides ? Dans une culture du zapping, on survole l’information et on se persuade de posséder un savoir suffisant pour s’exprimer avec aplomb. ChatGPT ne fait que reproduire cette propension, à une échelle plus vaste et algorithmique.
Pour éviter de tomber dans ce piège, mieux vaut développer l’esprit critique : demander des précisions, des chiffres, des exemples ; confronter plusieurs sources ; reposer la question. Devant l’incohérence, le discours vide se dévoile. Fini l’accord tacite consistant à “liker” sans discernement. Interroger, c’est refuser la passivité.

Conclusion sur ChatGPT le Toutologue : tout dire, vraiment ?
La “toutologie” ne constitue pas un délit. Elle traduit un désir d’aborder tous les sujets, parfois pour divertir, parfois pour afficher une forme de culture. ChatGPT, en couvrant n’importe quel thème, incarne ce “spécialiste généraliste” qui émerveille autant qu’il peut dérouter. Son talent réside dans la fluidité de son expression ; sa limite, dans l’incapacité à prouver sa rigueur.
Notre époque privilégie la réactivité, la “FAST information” qui se consomme en deux clics. Les médias et internet réclament des voix pour remplir l’antenne, peu importe le niveau de fond. ChatGPT répond à cette attente : un torrent de belles phrases, mais aussi une possible source d’erreurs soigneusement enrobées. Mieux vaut donc accueillir ces contenus avec un soupçon de prudence : vérifier, recouper, analyser, au lieu de tout gober comme une vérité intangible.
En fin de compte, la prochaine fois qu’un prompt vous démange, souvenez-vous qu’exposer “tout” ne revient pas à examiner la question sous toutes ses facettes. Un prompt précis, accompagné d’une demande de preuves, fait fondre le verbiage gratuit. Se contenter d’une réponse clinquante, sans la moindre vérification, revient à applaudir un orateur talentueux mais peu éclairant. ChatGPT, cet enfant chéri du numérique, manie les pirouettes verbales avec brio… tant qu’on ne le pousse pas dans ses retranchements. À nous de guider ses acrobaties avec notre intelligence et de pointer ses faiblesses pour dépasser le simple spectacle oratoire et viser un savoir plus solide.
🎯 Envie d’aller plus loin ?
Et si, pour l'iA, on gardait le I majuscule de l'Intelligence pour l'Intelligence Humaine ?